Japon partie II: parcours entre nature et architecture
Pour faire suite à notre l'article précédent sur nos impressions générales lors de notre court séjour au Japon, voici une sélection de nos endroits coups de cœur, ville par ville, souvenir par souvenir.
Tokyo
Le quartier résidentiel où nous logions, au sud de Nishi-Nippori, était calme le soir et le matin mais s’animait le jour, alors que plusieurs commerçants ouvrent leurs petites boutiques de vaisselle, d'artisanat et de desserts. Un marché aux puces d’antiquités y a aussi lieu le dimanche, et on peut y retrouver des trésors textiles. Nous avons aussi découvert, au détour d’une ruelle, une cordonnière qui fabrique des chaussures sur mesure, Blue Bee Shoes. Il est souvent difficile de trouver ce que l’on cherche à cause de la barrière de langage, alors l’idéal est souvent de se balader et de garder les yeux ouverts. Au nord de la station de métro Nishi-Nippori se trouve la rue du textile; sur plusieurs étages, on y retrouve des commerces spécialisés. Bien qu’il y ait plusieurs produits issus de l’importation, on peut quand même y trouver beaucoup de textiles locaux et d’outils japonais.
Notre vue au lever du soleil, une façade voisine, des souliers sur mesure par Blue Bee Shoes.
Pendant notre séjour en ville, nous avons eu la chance de visiter une exposition au musée 21_21 organisée par la fondation Issey Miyake. Dans les galeries 1 et 2 se trouvaient une exposition de prototypes appelée “Éléments futurs: laboratoire expérimental pour le prototypage en science et en design”. Dirigée par Shunji Yamanaka, l’exposition y abordait les processus de recherche multidisciplinaires et leurs potentiels pour le futur. Dans la galerie 3 avait lieu l’exposition Focus on Stretch Pleats mettant en valeur le processus derrière la collection “me” d’Issey Miyake. Ce matériel est plissé finement à l’horizontal comme à la verticale, permettant d’être extensible dans tous les sens. Une vidéo du processus industriel était diffusée à l’entrée de la galerie, et le son des machines rythmait la visite. Des premiers tests de papier jusqu’aux hauts colorés de la collection en passant par chaque étape de fabrication, on pouvait apprécier la recherche et la complexité derrière ces œuvres.
Vues des expositions au musée 21_21
Évidemment, nous avons aussi visité les quartiers plus centraux, vibrants et bruyants même si nous préférons le Japon plus traditionnel (on ne rajeunit pas!). Dans un coin tranquille du quartier Shibuya, nous avons visité la fameuse librairie Tsutaya, où nous avons pu fouiner et faire le plein de livres rares; architecture, menuiserie traditionnelle, Boro (l’art du raccommodage traditionnel) sont quelques sujets que nous avons choisis. Nous sommes aussi sorties du centre de Tokyo pour aller voir un peu de nature. Plus au sud, nous nous sommes rendues sur l'île d’Enoshima, qui nous a permis d’apprécier les textures du paysage de bord de mer, avec les vagues qui se brisent sur les rochers blancs et le mont Fuji au loin, grandiose. Ensuite, à Kamakura, nous avons pu nous déplacer en tramway qui semblait sorti d’un autre siècle, longeant la mer, où écolières en uniformes et surfers profitaient de la plage. C’est dans cette ville que nous avons pu voir le grand Buddha de Kotoku-In. Nous avons vu les artisanes de chez Gram fabriquer des bijoux sur place pour les visiteurs, puis avons fini la journée dans une petite pizzeria, le Blue, cachée au deuxième étage sur une rue commerçante, trouvée par hasard.
Le mont Fuji, des images d'Enoshima, les trams de Kamakura, une bague faite sur mesure chez Gram.
Chez Awonoyoh
En juin 2023, nous avons fait connaissance avec Taka-San et Tomo-San, le couple derrière Awonoyoh, un atelier de shibori et de confection de Kimono. Nous avons passé deux jours à Montréal à faire l’apprentissage de certaines techniques de shibori avec eux et les avons contacté pour leur annoncer notre présence dans la région de Tokyo en mai. Généreusement, ils nous ont invitées à venir visiter leur atelier et faire un cours de quelques heures dans leurs incroyables installations. Comme dans un film de Miyazaki, nous avons attendu Taka à la gare de train de Fujino, où il est venu nous chercher avec son petit camion. Sur la route en zig-zag jusqu’à sa maison nichée entre des montagnes pointues, nous avons pu apprécier des champs abruptes de thé vert. C’est avec un accueil chaleureux et amical qu’ils nous ont reçu dans leur maison traditionnelle, où nous avons partagé un repas réconfortant, fait maison (le seul du voyage!) et teint des dégradés avec l’indigo dans ses grandes cuves de céramique. Taka et ses amis ont creusé à la main le sol de pierre pour pouvoir y insérer ses cuves de près de 8 pieds de profond, permettant ainsi de contrôler leur température.
Sur place se trouvaient aussi deux étudiants en résidence, qui pendant deux semaines perfectionnent leurs techniques de teinture et de couture avec les maîtres. Une fois les pièces teintes, repassées et étendues pour le séchage, nous avons pu fouiller dans leurs livres sur les textiles japonais et observer les étudiant.es travailler. Taka nous a fait découvrir le traditionnel papier de mûres (Mulberry), qu’il utilise pour faire ses pochoirs. Bien que courte, la visite fut exceptionnelle. Sur le chemin du retour, alors que la musique de Meitei jouait dans le camion, nous avons aperçu le soleil de fin de journée percer à travers une forêt de bamboo, une vision plutôt épique. Avant de nous déposer à la gare, Taka nous a fait visiter son jardin, où il cultive son indigo qu’il utilise dans sa pratique. Nous sommes revenues à Tokyo avec les mains bleues et le sentiment d’avoir vécu une expérience unique.
Vues de l'intérieur de l'atelier et de l'extérieur de la maison. Marci à Taka pour les photos de nous au travail.
Kyoto
Nous avons pris le train vers la vieille ville de Kyoto, pour voir les temples zen, les maisons aux façades uniques et les antiquaires. Nous avons ramené plusieurs tissus anciens d’ailleurs, tant pour encadrer que pour se coudre des pièces uniques. Nous avons aussi passé une journée complète à vélo dans la ville à visiter plusieurs endroits iconiques. Notre premier arrêt, le Ginkaku-ji (Pavillon d’argent), avait d’unique un jardin de pierre et de sable. On dit que le tas de sable avait été laissé par les ouvriers quand les travaux ont été interrompus (en 1467 à cause d’une guerre) et symboliserait le mont Fuji. Le large jardin courbé de sable et de pierre surélevé aux larges rayures très droites offre un contraste contrôlé. Le matin où on y est passé, une dizaine d’ouvriers s’affairaient à le sculpter, et les observer était très méditatif.
Texture dans la pierre, une façade en chemin vers le temple, la vue d"en haut, le jardin de pierre.
Nous nous sommes ensuite rendues au temple Entsuji, en haut d’une colline très pointue, où nous avons longuement apprécié le paysage montagneux encadré à la perfection par le temple, tel un tableau. L’idée derrière sa conception est que le jardin engage notre regard vers les arbres, puis vers le mont Hiei. Cette idée se nomme “shakkei”, (se traduit par paysage emprunté), où le designer incorpore - ou emprunte - un paysage dans l’architecture du jardin. Le temple Entsuji est reconnu comme l’un des shakkei les plus spectaculaires.
Vues du temple Entsuji et du chemin escarpé pour s'y rendre.
Le troisième arrêt fut le Ryoan-Ji, qui signifie “le temple du repos du dragon”, classé patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1994. Le “hiraniwa” (jardin plat sans étang ni colline) est d’une simplicité et d’une harmonie qui démontre un grand savoir-faire. Après un long moment d'observation méditatif, derrière le temple, dans le calme le plus complet, nous avons trouvé le lac et des jardins. Difficile à décrire, une petite forêt taillée, dans laquelle se trouve des sentiers, semblait surréelle. Nous n’avons trouvé aucune information sur cette partie du jardin, si elle existe vraiment.
Vues du temple Ryoan-Ji et du jardin derrière.
Ces trois temples, comme la plupart des temples, sont en haut de collines parfois très prononcées. S’y rendre en vélo, sous le soleil très chaud, demandait beaucoup d’efforts et a fait que nous sommes arrivées dans ces lieux de contemplation plus sensibles et vulnérables. La vue du haut d’une montagne est plus belle, mais l’engagement physique pour s’y rendre fait partie de l’expérience et transforme la visite en récompense. Le temps de retour, en pédalant silencieusement, était aussi propice à rendre cette journée inoubliable. Nous avons longé la rivière qui sépare Kyoto en deux sur le chemin du retour, et nous nous sommes arrêtées sur des pierres pour profiter du coucher de soleil. Un grand héron se prélassait à quelques pas de nous, le ciel était enflammé, et les montagnes au loin présentaient des couches de bleu de plus en plus foncées, rappelant les trempages successifs dans la teinture d’indigo.
Le coucher de soleil sur la rivière Tenjin, un grand héron
et une aquarelle de la soirée par Emily Bain.
Kyoto nous réservait encore des surprises, et le lendemain nous avons trouvé deux boutiques de designers indépendants, toutes les deux très bien cachées. Nous ne savons pas si c’est par humilité, par désir de simplicité ou pour être à l’abri des touristes, mais les deux boutiques n’avaient ni enseigne visible, ni présence sur les cartes en ligne. Nous avons d’abord trouvé la lumineuse et minimaliste boutique de la marque T.T en faisant une recherche sur les designers japonais. À l’adresse affichée, nous avons doucement glissé une porte en espérant être au bon endroit. Dans cet espace où la lumière et les points de vue sont soignés et maîtrisés, les vêtements et les œuvres d’art se côtoient harmonieusement. C’est à cet endroit qu’on nous a recommandé la boutique suivante, Z otokage-otsukei.
Extérieur et intérieur de la boutique T.T
Malgré l’adresse, nous l’avons cherché longtemps; l’entrée de la boutique est cachée loin des regards, au fond d’une ruelle située dans une rue résidentielle bien ordinaire. Une planche de bois accotée sur un mur avec un z blanc peint dessus nous a finalement pointé vers l’entrée. Sombre et mystérieuse, en contraste avec la boutique précédente, Z était comme une caverne aux mille et un trésors. Les charmants employés nous racontaient comment une chemise avait été teinte, où une paire de bas a été tricotée, ce qui distingue un designer d’un autre. L’ambiance était tellement tamisée que les employés nous décrivaient les couleurs des tissus qui nous intéressaient!
Intérieur et extérieur de la boutique Z otokage-otsukei, photos prises sur leur site web.
Teshima et Naoshima
Si jusque là on pensait que le Japon nous en avait mis plein la vue, on ne savait pas que que les expériences les plus grandioses étaient encore à venir. Par train puis par bateau, nous nous sommes rendus à Teshima pour visiter le plus beau musée que nous avons eu la chance de visiter jusqu’à ce jour. Teshima est une petite île de la mer intérieure de Seto et a beaucoup fait parler d'elle à la suite d’une décharge illégale de près d’un million de tonnes de déchets sur ses rives. Sa population, aujourd’hui composée de 700 personnes dont la moitié est âgée de plus de 65 ans, s'est battue pendant plus de trente ans pour remédier à cette injustice. En 2010, dans un souci de revitalisation de l’île, le musée d’art Teshima a été construit par l’architecte Ryue Nishizawa et l’artiste Rei Naito. Le musée en soi est une œuvre d’art, et la seule pièce qui y est exposée est l’eau en mouvement provenant des sources naturelles rejetées sur l'île. Difficile à décrire, ce musée hors du commun se rapproche des temples traditionnels japonais de bien des façons, tout en ayant une esthétique complètement nouvelle. Ce musée fera l’objet d’un article, l’expérience à été si unique que nous avons envie de la partager plus en détails. Ce soir-là, nous nous sommes baignées dans la mer pendant un coucher de soleil à couper le souffle avant d’aller dormir dans une minka, sur des tatamis.
Une journée à découvrir la tranquille île de Teshima. Nous y avons vu autant de chats que d'habitants.
Le lendemain matin, nous avons repris le bateau en direction de l’île de Naoshima cette fois, pour y visiter le musée Chichu. Construit en 2004, ce musée a été conçu par l’architecte Tadao Ando pour repenser la relation entre la nature et les gens. Construit principalement sous terre pour ne pas affecter le paysage de l’île, le musée laisse tout de même passer beaucoup de lumière naturelle, permettant aux œuvres et à l’espace d’être altérés par le passage du temps, selon les saisons ou les heures de la journée. L’architecte a conçu les espaces en collaboration avec les artistes ou leur fondation - les expositions sont permanentes- rendant la frontière floue entre le musée, les œuvres et la nature. Nous avons été particulièrement touchées par l'œuvre Open Sky de James Turrell, qui semble être une version contemporaine de la contemplation du paysage que l’on apprécie dans les temples japonais. Comme dans les jardins zen, on retrouve dans ce musée à plusieurs reprises le concept de paysage emprunté, la vue de la nature, des arbres et du ciel faisant partie intégrante du design. L’ancien et le nouveau se parlent toujours!
Le musée Chichu sur l'île de Naoshima. La troisième photo est une oeuvre de James Turrel, prise dans le livre du musée.
À notre retour à Montréal, nous sommes allées nous chercher deux plants de romarin, question de se remémorer les arômes nippons. Si nous pouvons retourner dans ce pays si riche en culture, nous aimerions visiter plus d’ateliers d’artistes et discuter de leurs pratiques. Nous voudrions nous imprégner de culture traditionnelle, pourquoi pas aller voir du théâtre noh, moins se déplacer, et peut-être y rester assez longtemps pour y développer une routine japonaise.
Merci à Guillaume Pelletier d’avoir partagé ses coups de cœur avec nous. À une prochaine fois, Japon!
La photo de couverture a été prise sur le site web du musée Chichu.