Dans l’atelier de Celia Perrin Sidarous — Unir par la photographie
Depuis plus d’un an, nous avons la chance de collaborer avec l’artiste Celia Perrin Sidarous. Elle nous accompagne à l’atelier avec les photos de nos produits et notre présentation visuelle en boutique. Parfois, elle s’amuse à embellir nos vitrines et à nous aider avec la composition d’objets et d’installations.
J’étais de passage l’automne dernier dans l’immeuble où se trouve l’atelier de Celia avec le photographe Jean-Michael Seminaro. Nous allions documenter une rencontre avec Sophia Borowska et Teresa Dorey, qui ont exposé ensemble à la galerie atelier b. Comme Celia était en train de préparer sa prochaine exposition, nous en avons profité pour documenter son atelier et son travail.
L’exposition Flotsam a finalement eu lieu du 11 février au 13 mars dernier à la Galerie Bradley Ertaskiran qui la représente. Nous avons pris un après-midi de congé à l’atelier pour aller la visiter toutes ensemble. J’ai demandé à Celia de répondre à quelques-unes de mes questions à l’atelier entre deux projets, un moment inhabituel où nous sommes passées de collègues à intervieweuse/interviewée.
Celia se définit comme une artiste de l’image. Sa démarche intègre la pellicule, autant pour ses photographies, qu’elle produit en moyen et grand format, que par les images en mouvement, le véhicule de son prochain grand projet, lui aussi capté sur film. Celia est détentrice d’un bac et d’une maîtrise en beaux-arts à l’Université Concordia, où elle a développé une spécialité en photographie.
Ses œuvres font partie de la collection permanente du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée des Beaux-Arts de Montréal et de l’AGO — Art Gallery of Ontario, à Toronto. Elle a participé à de nombreuses expositions solos et collectives depuis 2009, et a notamment présenté L’archiviste au Musée McCord en 2019 et l’expo de cette année à la Bradley Ertaskiran, qui la représente.
Flotsam, ou la beauté dans les marges
Dans sa dernière exposition, Celia s’est intéressée à « tout ce qui flotte autour du travail, de façon indirecte, mais spécifique en même temps ». Le titre réfère à un terme nautique, et désigne un type précis de débris flottant, n’ayant pas été intentionnellement jeté par dessus bord, mais résultant plutôt d’un naufrage ou d’un accident.
Pour créer les œuvres présentées à la galerie, elle a revisité ses archives photographiques des dix dernières années, « toutes les images qui sont prises de façon quotidienne avec téléphone ou caméra numérique, qui ne représentent pas le travail d’atelier, mais qui le soutiennent de façon un peu invisible. Je voulais regarder cette périphérie-là et la ramener au centre » de son travail. De cette archéologie de ses archives, elle en a tiré 400 images qu’elle a imprimées puis découpées, et qui se sont ajoutées à sa banque d’images potentielles.
Jouer avec l’éphémère
Pour la construction de ses collages photographiques, Celia utilise une technique qu’elle a développée avec le temps: « tous les assemblages sont éphémères et n’existent pas autrement que par la photographie. Dans le cas de l’exposition par exemple, ce sont comme des collages, sauf que c’est la caméra qui les fait, dans le sens que j’assemble les éléments de façon très basique, il n’y a rien qui est permanent. »
Les objets sont donc réunis de manière transitoire: la forme de l’œuvre et les associations évoluant au fil du temps, avec la photo argentique comme seule trace de leur union. Pour Flotsam, ce processus s’est échelonné sur un mois, période où Celia a mobilisé toute son intuition et sa mémoire, puisque les résultats ne se révèlent qu’au moment où la pellicule l’est aussi. Elle passe ensuite au numérique pour l’impression, pour profiter d’une plus grande flexibilité au niveau des formats, des surfaces et des types d’impression.
Révéler sans expliquer
Avec le temps, Celia implique une plus grande part de vulnérabilité à ses œuvres. Alors que pour l’expo L’archiviste du Musée McCord, en 2019, l’artiste avait sélectionné puis assemblé des éléments de la réserve du musée pour en tirer son propre corpus, les deux dernières années ont marqué pour Celia un désir d’incorporer du matériel personnel à ses productions, images comme objets, qu’elle crée en céramique notamment. « Je ramène mes propres images pour les découper, j’ai aussi commencé à faire mes propres objets et à les intégrer. J’ajoute donc un autre langage à celui qui existait déjà, parce que depuis un certain temps je travaille déjà pas mal avec des images trouvées, mais aussi avec des objets trouvés. Je pense qu’il y avait là-dedans un désir de défaire et refaire. »
À la vue de son exposition, j’ai été touchée par sa manière de se dévoiler à travers ses photos: j’y ai senti un partage de son intimité. « C’est sûr que cette exposition-ci était beaucoup plus personnelle, mais en même temps, je [me] révèle jusqu’à un certain point. C’est comme de placer des indices: il n’y a pas nécessairement de réponse claire qui dit: je suis ceci ou je suis cela. » C’est important pour Celia de ne pas imposer une manière d’interpréter ses images et de laisser la poésie qu’elle façonne faire son chemin chez les spectateurs.
Le choix des mots est donc primordial pour Celia, bien que le titre de ses œuvres lui vienne le plus souvent à la fin du processus créatif. Elle y voit des occasions supplémentaires d’injecter du sens sans le dicter. « J’ai une préférence pour les textes qui vont accompagner le travail sans l’expliquer ou le décortiquer. » En ce sens, le texte de Danielle St-Amour qui présente Flotsam illustre bien comment le texte donne de la puissance à l’œuvre de Celia, sans montrer les ficelles: « La piste n’est ni statique, ni une archive — elle est plutôt une combinaison d’agencements, de pressions et d’intuitions, infléchie par le temps. ».
Au même moment où prenait place Flotsam à la Galerie Bradley Ertaskiran, la coloc d’atelier de Celia, Marie-Michelle Deschamps y présentait aussi une expo solo, Oasis. Les deux ont également décidé d’unir leurs talents pour créer trois œuvres collaboratives, intitulées Bouquet, qui combinaient la pratique photographique de Celia et le travail sur émail de Marie-Michelle. On aurait dit des petits ponts entre leurs univers, qu’elles ont justement présentés dans les espaces transitoires de la galerie.
Le processus a été source de réconfort et de joie pour les deux artistes, surtout en ces temps pandémiques confinés. « C’était une très bonne façon de s’épauler en ce moment, disons. Comme on partage l’atelier, il y a déjà une conversation qui existe depuis un certain temps entre nos deux pratiques, des intérêts communs. C’est la première fois qu’on collabore, mais ce n’était pas la première fois qu’on en parlait. »
Après un an de pandémie, elle a pu constater la soif des gens pour l’art: même s’il n’y a pas eu de vernissage en raison des contraintes sanitaires, il y a eu une affluence à flot continu vers son expo, qui coïncidait avec la réouverture des musées et des galeries d’art. « Je me considère extrêmement chanceuse d’avoir pu montrer mon travail en ce moment, parce que tout a été décalé, les calendriers de programmation de tout le monde sont sens dessus dessous. » Je comprends exactement ce qu’elle veut dire: en ces drôles de temps, tout devient plus précieux, plus rare. On savoure plus les choses qui auraient eu moins d’importance dans un autre contexte. « Ça m’a fait beaucoup de bien de travailler sur ce projet-là », conclut Celia.
La visite de l’expo de Celia nous a fait un bien immense à nous aussi: qu’il était bon de se retrouver toute l’équipe ensemble hors des murs de l’atelier, à faire le plein de beauté! Il faut dire que le travail de Celia nous inspire, tant par sa recherche au niveau de la composition et des couleurs que de la douceur qui se dégage de ses œuvres. D’en apprendre davantage sur son processus de création soutenu, qui laisse la place à l’intuition et aux rencontres entre les éléments nous fait l’apprécier différemment.
Merci Celia de poser ton regard sensible sur notre travail et d’y mettre un peu de ton univers et de tes réflexions.
Photos de Jean-Michael Seminaro.
Merci à Maryse Boyce pour l'aide à la rédaction.